Classe inversée et confinement

Avant/Après (©wikimédia).

Le retour de l’enseignement en distanciel, la fameuse continuité pédagogique ministérielle, s’accompagne d’un regain d’intérêt pour la pédagogie de la classe inversée. Pour le meilleur et pour le pire.

Du coté du meilleur, il faut souligner la naissance d’un groupe sur Facebook, Pratique de la pédagogie inversée, qui se définit ainsi :

Ce groupe est un lieu d’échange entre professeurs pratiquant la pédagogie inversée ou ceux et celles qui veulent se lancer. Nous pouvons y échanger sur nos pratiques, partager nos capsules vidéos et venir y retrouver du soutien sur cette pratique.

Du coté du pire, il y a cet article, remis au goût du jour, puisque daté du 20 octobre 2020, École numérique, classe inversée, coronavirus et libéralisme scolaire. En effet cet article me semble un peu trop polémiste et simplificateur. Cela étant, il souligne un constat que nous avons tous fait, celui de la fracture numérique qui rend les enfants des classes populaires très fragiles lorsqu’il s’agit d’enseignement numérique, a fortiori en distanciel. J’ose cependant espérer que les enseignants qui se lancent dans ces pratiques commencent par prendre la mesure de leurs élèves. En effet, à lire Nico Hirtt, les professeurs ne se soucieraient pas des capacités de leurs élèves à suivre ou non un cours en distanciel. Un deuxième niveau d’analyse pour Nico Hirtt est que les enfants des classes populaires investiraient moins le travail scolaire et que donc ils auraient besoin de plus d’école. Ipso facto, la classe inversée serait donc une pratique néo-libéraliste qui étranglerai volontairement le peuple et bénéficierai pleinement aux élites.

Mais, dans un premier temps, revenons à l’essentiel : qu’est-ce qu’une classe inversée ?

Normand Roy propose 5 raisons pour pratiquer la classe inversée :

Le fait que l’apport des connaissances théoriques se fasse sous forme d’une capsule vidéo permet à l’étudiant d’y revenir, de réécouter la capsule autant de fois qu’il en a besoin. L’étudiant est ainsi responsabilisé et devient plus investi dans ses apprentissages. Mais surtout, le temps de travail en classe est disponible pour toutes les interactions possibles et nécessaires entre l’enseignant et les étudiants. Bien mieux, un suivi personnalisé peut se mettre en place. Enfin, l’habitude de l’utilisation de l’outil numérique peut déboucher sur la mise en place d’outils de travail et d’échange vertueux entre les étudiants, sous forme d’un forum ou d’un groupe privé sur un réseau social. En conclusion, le temps de présence en classe des étudiants est optimisé.

Au collège, mais dans une certaine mesure, également au lycée, les enseignements sont moins théoriques et nécessitent une adaptation profonde de la théorie de la classe inversée. Si je fais une tentative tayloriste de mon travail en classe, je constate qu’une grande partie de la séance est consacrée à écrire un résumé, une définition, voire à coller une feuille (5 minutes minimum en sixième). Les élèves ont-ils réellement besoin de mon expertise pour ces actions ? Ne pourrait-on pas envisager que ces actions soit faites à la maison, en tous cas en dehors du cours ?

La classe inversée n’est pas la panacée

En fait, on doit faire (et j’insiste sur la formule) trois reproches à la pratique de la classe inversée. Le premier est d’ordre méthodologique : peu d’études se sont intéressées à cette pratique, alors que l’on sait que l’enseignement explicite est efficace pour les élèves en difficultés. J’ajouterai que ces pratiques sous-entendent en général une autonomie de l’élève. Or, il est bien rare de la trouver chez l’élève en difficulté. Ensuite, et c’est une évidence, les élèves doivent posséder un équipement informatique et un lieu de travail à la maison pour pouvoir correctement regarder les capsules vidéos ou les autres documents proposés par l’enseignant. En outre, il ne faudrait pas surcharger le temps de l’élève à la maison en proposant un document trop long (en classe, on est très limité par le temps…).

Si la pratique de la classe inversée abouti à obtenir un temps disponible plus important entre les élèves et l’enseignant, alors elle a tous son intérêt. En effet, ce temps peut être mis à profit pour opérer une différenciation pédagogique. N’en déplaise à Nico Hirtt, les élèves les plus en difficultés peuvent y trouver leur avantage avec des exercices adaptés, un enseignant plus présent auprès d’eux. Si en plus, ce dernier pratique la pédagogie de contrat… En outre, des chercheurs ont mis en évidence que la pédagogie active pouvait être favorable au développement de compétences (Norbert Michel, John James Cater, Otmar Varela, « Active versus passive teaching styles: An empirical study of student learning outcomes »). Des lignes très intéressante sur cette problématique se trouvent ici

Inverser la classe n’est donc pas la solution au confinement. Cela étant, il faudrait dépasser une fois pour toute la querelle des anciens et des modernes. Les programmes d’enseignement français sont de plus en plus lourd. En même temps, face à cette obésité, les élèves sont de moins en moins attentifs. Une manière de résoudre cette fracture consiste à créer un mille-feuille d’activité permettant d’entraîner l’élève dans un tourbillon. Une partie de la technostructure et des décideurs propose de résoudre ce hiatus en abaissant le niveau d’exigence, manière plus que méprisante et pour les élèves des classes populaires qui ne bénéficient pas d’étayage parental et pour les personnels témoins de cette hypocrisie. La classe inversée, loin d’être l’ultima ratio qui nous permettra de résoudre tous nos soucis est un outillage qu’il faut ajouter à notre palette.

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À propos Crémieu-Alcan
Professeur en collège, Docteur en Histoire. Travaille sur les usages pédagogiques du web 2.0. Anime la classe Médias du collège Dupaty (une classe PEM) Site Perso : miscellanees33.wordpress.com, Les100livres.wordpress.com

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